Un nouveau mot pour moi : « la charlotte »

31 mars 2020

Alors que nos amis grammairiens et puristes du français font la chasse aux sempiternels anglicismes et aux barbarismes d’antan – tout cela en vain – je préfère regarder du côté des innovations et nouveautés lexicales.

C’est ainsi que j’ai lu ce matin (le 30 mars 2020) sur le site web du journal La presse la phrase suivante :

« Certains aimeraient notamment que Tristan fabrique des chemises et des charlottes, ces chapeaux que porte le personnel dans les salles de chirurgie.»

Je ne connaissais pas le mot charlotte dans ce sens. Je connaissais le dessert bien sûr mais pas le couvre-chef du personnel chirurgical. Faut dire que je ne fréquente pas les salles d’opération. Voilà donc un mot du jargon utilisé sans doute depuis longtemps par le personnel médical.

Il est intéressant de voir comment, grâce aux médias de communication, un mot, ou plus précisément un usage, va sortir d’un milieu plutôt restreint pour se diffuser chez le grand public. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec post-mortem, au grand dam des chroniqueurs de langue.

Une autre question est le rapport entre le dessert et le chapeau. Est-ce que la forme du chapeau rappelle ce dessert ou est-ce qu’il y a eu une certaine Charlotte à l’origine ? Nos amis puristes et grammairiens pourront peut-être éclairer ma lanterne. Chiche !


Qu’est-ce que la « norme sociolinguistique du français au Québec » ?

10 mars 2020

Faisant une recherche sur le mot paramédic en français, je suis tombé sur le texte suivant dans le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française :

« Les emprunts intégraux adaptés paramédic et paramédique, de l’anglais, qu’ils soient employés seuls ou dans les termes technicien ambulancier paramédic, technicien ambulancier paramédique, ambulancier paramédic, ambulancier paramédique, ne s’inscrivent pas dans la norme sociolinguistique du français au Québec. En outre, ils ne s’intègrent pas au système de la langue française, puisque le mot medic qui, en anglais, est un nom qui signifie « médecin » ou « étudiant en médecine », est inexistant en français. »

Voyons à titre de comparaison ce qu’en dit le dictionnaire québécois Usito:

« L’emploi de paramédic, ou de sa variante paramédique, est critiqué comme synonyme non standard de technicien ambulancier paramédical. »

C’est assez clair que l’OQLF n’aime pas paramédic. Soit.  Or nous constatons que paramédic est largement répandu dans les médias québécois actuels et même sur les ambulances, comme on peut voir sur la photo ci-après.  Je vous invite également à visiter le site web de la Corporation des paramédics du Québec.

Quelle est donc cette norme sociolinguistique dans laquelle paramédic ne s’inscrit pas? Et comment peut-on affirmer que paramédic ne s’intègre pas au système de la langue française alors que de toute évidence, il fonctionne parfaitement chez les locuteurs les plus concernés?

Les habitués de ce blogue connaissent sans doute la réponse. Ce petit discours sur la norme sociolinguistique du Québec et sur la non intégration au système du français n’est qu’une version modernisée à la sauce linguistique de ce discours grammairien plus que centenaire au Québec: paramédic est un anglicisme et donc à bannir du français québécois.

Mais je me suis toujours demandé comment l’OQLF arrivait à ces conclusions. Quelle est cette norme sociolinguistique du français du Québec? Et quelle est la relation entre cette norme et l’usage réel.

Disons tout de suite qu’il s’agit d’un vieux débat en linguistique et en didactique du français. Quand on parle de LA norme, on fait référence à ce qu’on appelle aujourd’hui le français de référence de la langue écrite formelle. Cette langue dite soignée ou soutenue est la langue révisée et contrôlée selon les règles des ouvrages de référence comme les grammaires et les dictionnaires.

Les publications des gouvernements, les livres, les revues, les écrits publicitaires, les affiches, les enseignes commerciales, les avis officiels, bref toutes les manifestations de la langue écrite soignée sont passées au crible fin de la correction et de la révision linguistiques. On pourrait donc dire que selon cette norme on devrait dire technicien ambulancier paramédical.

On note cependant que ce site officiel du gouvernement du Québec utilise technicien ambulancier paramédic.

Le texte de l’OQLF pourrait donc se lire comme suit:

Les emprunts intégraux adaptés paramédic et paramédique, de l’anglais, qu’ils soient employés seuls ou dans les termes technicien ambulancier paramédic, technicien ambulancier paramédique, ambulancier paramédic, ambulancier paramédique, ne s’inscrivent pas dans la norme sociolinguistique du français officiel ou soutenu au Québec.

Cela dit, il y a les usages réels, parfois écrits comme dans le cas de paramédic, mais surtout oraux. Certains linguistes pensent que la langue orale a ses propres normes car les gens ne parlent pas au hasard. Ils suivent les règles ou des normes linguistiques propres à chaque contexte de communication.

Pour un aperçu de la langue écrite informelle, on n’a qu’à lire les textos, SMS, commentaires et autres écrits spontanés des internautes. Évidemment cette langue se rapproche beaucoup de la langue parlée.

Une langue n’a donc pas une seule norme. Il y aurait autant de normes que de variétés et variantes qui se parlent ou s’écrivent.


Chroniques de langue et diffusion des fautes. Analyse concrète 4 : Le cas de « faire du sens »

2 mars 2020

Dans ce quatrième et dernier billet sur le rôle des chroniques de langue dans la diffusion des prétendues fautes, je voudrais examiner le cas intéressant d’une faute qui à toutes fins utiles n’est plus une faute sauf pour quelques puristes irréductibles au Québec

D’abord il me semble inutile de m’arrêter sur la thèse que j’ai exposée dans le premier de ces billets. Le cas de faire du sens a une certaine actualité puisque André Racicot lui consacre un billet dans son excellent blogue du 4 février 2020.

Et soulignons que, comme c’est toujours le cas, la forme dite fautive est en vedette avec sa définition suivie de la correction. C’est dire que tout se passe comme si la chronique était essentiellement une entrée de dictionnaire de faire du sens,

Évidemment, comme j’ai démontré dans les autres cas, cette condamnation de faire du sens n’est pas nouvelle. Cette fois-ci je ne vais pas évoquer tous les ouvrages et sites web qui ont dénoncé et dénoncent encore le calque de l’anglais make sense.

Or, la chose est beaucoup plus compliquée qu’elle n’en a l’air puisqu’il y a une certaine controverse chez les puristes sur cette prétendue influence de l’anglais. On lira une excellente étude de la question par Frédelin Leroux fils dans Terminium Plus qui explique que si faire du sens est peut-être de provenance douteuse, faire sens est bien et bel attesté en français depuis belle lurette.

Or il est curieux de constater que les critiques disent que faire du sens viendrait de l’anglais to make sense sans pouvoir expliquer la présence de du en français. Après tout, l’anglais ne dit pas make of sense ou make the sense. Par contre, faire sens, qui paraît-il est du bon français, ressemble parfaitement à l’anglais make sense. Il y a vraiment de quoi y perdre son latin.

Quoi qu’il en soit, le fait est que malgré toutes les chroniques et critiques, faire du sens est plus répandu que jamais. J’en veux pour preuve un article dans la revue Actualités du 2 août 2018 de l’Université de Sherbrooke, article ayant pour titre :

« Deux chercheuses présentent les conclusions d’une étude
Quand l’emploi des anglicismes peut faire du sens (sic) » 

La présence du (sic) doit nous faire croire qu’on se moquait des puristes mais l’effet est le même : c’est la légitimation de faire du sens.

Voire, comme j’ai essayé de démontrer dans les quatre billets, tous les efforts de dénigrement et de dénonciation des fautes ont eu exactement l’effet contraire.  Faire du sens en est le plus bel exemple. Tout ça pour ça.