Quand les Français adoptent nos vieux anglicismes

23 janvier 2023

Les Québécois aiment bien se moquer de ce qu’ils perçoivent comme un engouement des Français pour les anglicismes qu’ils prononcent très mal d’ailleurs. Ils parlent français avec mots anglais, dit-on.  Ce phénomène n’est pas sans agacer nos grammairiens et puristes grincheux du Québec qui d’une part voient l’anglicisme partout et d’autre part exhortent les Québécois à parler pour être compris du reste de la francophonie, ce qui veut dire utiliser, tant que faire se peut, les mêmes mots que les Français. C’est le fameux français standard ou international.

Or, dans ce dit engouement pour l’anglais de la part des Français, il y a un détail fort intéressant qu’a déjà fait remarquer un chroniqueur de langage, à savoir que les Français d’aujourd’hui sont en train d’importer – d’autres disent emprunter – des mots qui avaient déjà étaient importés il y a longtemps dans le français québécois familier tant décrié.

Ce n’est pas vraiment étonnant. La promiscuité avec la civilisation anglo-américaine a fait en sorte qu’au Québec certains usages soient passés dans le français québécois avant la France. Évidemment tout ça change aujourd’hui avec l’internet et les nouvelles technologies de communication.

Toujours est-il que ce 20 janvier 2023 j’étais vraiment amusé d’entendre sur la chaîne française BFM Business dans le cadre de l’émission BFM Cryptos, les Pros, animée par Guillaume Somerer, l’invité Owen Simonin dire, en parlant de la faillite d’une entreprise américaine de la crypto :

Quoi qu’il en soit, l’impact va être énorme parce que il va y avoir des effets rebonds en fait. Comme FTX affecte Genesis et d’autres structures de prêt et d’emprunt qui affectent elles-mêmes d’autres sociétés qui avaient confié de la liquidité à Genesis et à d’autres structures et qui elles-mêmes étaient les contrepartie d’autres entreprises ou de particuliers. Quoi qu’il en soit, ça n’a pas affecté le marché, pourquoi ?  C’est sizé, c’est pricé par le marché. Dans le doute, on imagine le pire et quand et c’est pour ça que quand on a la nouvelle de la mise sous Chapter eleven de justement Genesis, oui c’est une mauvaise nouvelles mais ça ne surprend personne parce qu’on avait déjà sizé le risque maximal.

Ces deux verbes sizer et pricer sont bien présents dans le français québécois populaire et dans le milieu de la finance depuis fort longtemps. Mais la différence ici c’est que l’invité français n’a éprouvé aucune gêne à utiliser les termes parfaitement adaptés de l’anglais, alors qu’il il y a fort à parier qu’un invité québécois dans pareille situation aurait fait de grands efforts pour trouver des équivalents en français ou se seraient confondu en excuses pour les anglicismes.


Véhicule, voiture, auto et char ou la coexistence pacifique

23 janvier 2023

Au moment où j’écris ces lignes (fin janvier 2023), on parle beaucoup dans les médias québécois des chars d’assauts allemands et américains réclamés par l’Ukraine dans la guerre contre la Russie. On voit également mais plus rarement le mot tank que l’on retrouve plus souvent dans la presse européenne.

Au Québec, le mot char, synonyme de voiture ou automobile, est l’exemple emblématique de l’anglicisme populaire dénoncé depuis plus d’un siècle. Il va sans dire que les mêmes journalistes de Radio-Canada qui ne se privent pas de tank évitent soigneusement le char québécois.

Mais ne voilà-t-il pas que l’on peut lire sous la plume du journaliste Patrick Lagacé dans le journal La presse du 22 janvier 2023 un article intitulé L’auto électrique c’est (parfois) formidable. Voici le bilan des occurrences du mot auto et de ses synonymes :

Char : 8

Auto : 2

Voiture : 4

Véhicule : 4 

Voici un extrait de l’article :

Je vous raconte tout ça au cas où, en ces jours de Salon du char, vous étiez en train de jongler avec l’idée de passer à l’électrique. C’est formidable, le char électrique, mais pas pour tout le monde et pas dans toutes les situations.

Tout cela me fait rire encore une fois parce que je persiste à  croire que la chasse aux anglicismes au Québec, comme en France d’ailleurs, ne donne rien sinon l’effet inverse de celui escompté. Autrement dit, le fait de dénoncer et vilipender l’anglicisme contribue à le répandre dans la population et l’installer de manière durable dans le répertoire lexical des locuteurs. Vive nos amis les grammairiens et puristes grincheux !


N’est pas linguiste qui veut

12 janvier 2023

Du 15 au 17 septembre 2022 j’ai assisté  à Montréal à un congrès de linguistique du français. Le thème était la célébration du 50e anniversaire du premier grand corpus du français parlé montréalais qu’on appelle souvent le corpus Sankoff-Cédergren. Rappelons-nous que les linguistes appellent corpus un ensemble très structuré selon certains critères d’échantillons enregistrés de la langue parlée.

J’ai adoré ce congrès. Le premier corpus de Montréal a fait des petits partout au Québec et en Europe. Si bien que nous avons maintenant de solides bases de données sur la langue réellement parlée.

Les communications ont porté surtout sur l’évolution de la grammaire et de la phonétique. Et les choses bougent beaucoup.

Mais pour revenir au thème de ce blogue, ce qui m’a frappé c’est que les linguistes patentés, les vrais, ceux et celles qui enseignent et font de la recherche dans nos universités ne s’intéressent pas du tout à ces vieux débats oiseux sur les anglicismes, solécismes, barbarismes et autres impropriétés qui préoccupent tant les grammairiens et puristes grincheux.

Je n’ai pas entendu la moindre observation sur la prétendue dégradation du français. Rien sur les dits piètres résultats des élèves québécois aux examens de français. Rien sur la correction de la langue. Rien sur l’Office québécois de la langue française qui, curieusement, n’était pas présent. Que des observations et réflexions scientifiques sur le français et son évolution.

Par exemple, il y avait une présentation fort intéressante sur l’influence du français québécois sur  la langue des jeunes immigrés français à Montréal.

Bref, une bouffée d’air frais pour alimenter des débats fort intéressants sur l’évolution actuelle de la langue.

Cela m’amène à dire qu’il y a au Québec par ailleurs toute une faune grouillante de grammairiens et puristes qui se targuent de linguistes alors qu’ils n’ont ni le diplôme ni la pratique professionnelle. Un traducteur, un réviseur, un enseignant de français, un journaliste n sont pas des linguistes. Ils peuvent s’intéresser à la langue et en avoir leur opinion mais ils ne font pas pour autant de la linguistique. On ne leur connaît pas des travaux dans les revues scientifiques. On ne les voit pas dans des congrès de linguistique. Ils ne font pas de recherche. On les voit surtout dans le journal Le devoir où ils débitent leurs sempiternelles lamentations sur l’état de la langue.

Bref, n’est pas linguiste qui veut.


Bon matin ou Good Morning à la télévision française

11 janvier 2023

Dans un autre blogue de correction langagière, ici – que je recommande d’ailleurs pour avoir un autre point de vue -, j’avais eu un échange un peu acerbe avec un autre commentateur au sujet de l’éternelle question du français québécois. L’animateur du blogue n’a sans doute pas apprécié ma deuxième contribution et l’a effacée tout en laissant le commentaire suivant  (10 janvier 2023) de mon interlocuteur. Mais ce dernier commentaire n’a pas vraiment de sens sans le mien. Alors, voici ce que j’avais écrit.

Vraiment, je dois rire lorsque je vois les gens s’acharner sur notre Bon matin québécois qui a au moins la pudeur d’avoir une forme française alors que la chaîne de télévision française BFM-TV affiche sans la moindre gêne dans sa section BFM Business son émission matinale Good Morning Business qui paraît-il fait partie de la morning routine de l’élite financière française. 

C’est ça le problème, deux poids deux mesures. Mais,  moi je dis que ce qui est bon pour les Français est bon pour nous Québécois. Ou dit autrement, ce qui est bon pour pitou est bon pour minou. On nous a toujours dit qu’il fallait parler comme les Français pour être compris des autres, alors allons-y gaiement.