Langue et vision québécoise du monde ?

Dans le Journal de Montréal du 16 mars 2021, on peut lire une lettre ouverte d’un groupe de jeunes souverainistes réclamant une meilleure protection de la langue française et notamment plus de restrictions sur l’accès aux cégep ou collèges anglophones. La lettre s’intitule : L’avenir nous appartient : nous le voulons français

Dans la même page du journal il y a une interview du journaliste Jean-François Guérin de TVA Nouvelles avec la porte-parole du groupe, Marguerite Landry (19 ans).  Je passe sur les revendications exprimées dans la lettre. Ce qui a retenu mon attention était le passage où Marguerite Landry essaie d’expliquer comment la langue détermine la vision du monde  de ses locuteurs. Voici le passage en question :

Jean-François Guérin :

Vous dites que c’est plus qu’une langue, ça structure notre vision du monde, le français.


Monique Landry :

 Oui, oui, je vais vous donner un exemple. Par exemple, en allemand un pont est un mot féminin. Donc les Allemands vont décrire un pont comme quelque chose d’élégant, de gracieux, de beau, des caractéristiques qu’on associe plus stéréotypiquement à la femme. Tandis que les Espagnols qui ont un pont comme un mot masculin vont décrire un pont comme quelque chose de solide, de robuste, quelque chose qu’on associe généralement aux hommes. Donc ça montre, juste cet exemple-là, parmi mille qui montrent que la langue détermine notre façon de pensée, détermine l’organisation de notre esprit et c’est aussi ce qui structure notre vision du monde. Et la langue au Québec structure une vision particulière, la  vision unique que les Québécois se font du monde et c’est pour ça que c’est important de préserver le français.

Avec tout le respect que je dois à Madame Landry, je veux lui rappeler qu’elle se trompe lourdement dans son argumentaire au sujet de la langue et la pensée. Vite, un cours d’initiation à la linguistique, ça urge.  Non, la langue n’agit pas sur la pensée de cette façon. Cette idée que les Allemands et les Espagnols attribuent aux ponts des caractéristiques associées tantôt aux femmes tantôt aux hommes est une absurdité.

Et quelle est cette vision unique que les Québécois se font du monde, vision structurée par la langue ? Si les Québécois disent la COVID-19 et les Français le COVID-19, est-ce que les uns y voient des caractéristiques féminines et les autres des caractéristiques masculines ? Et que voient les anglophones qui ne distinguent pas le genre grammatical ?

Tout cela est une vieille idée qui remonte au 19e siècle et qui a été reprise par le grand linguiste américain Edward Sapir dans les années 1920 et plus tard par son élève Benjamin Lee Whorf. Avec le développement de la linguistique cognitive récemment on peut se poser toutes sortes de questions sur les rapports entre la langue, la perception et la pensée mais ce n’est certainement pas en termes de vision du monde déterminée par le genre des mots.

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