Brassière, un drôle d’anglicisme

L’autre jour, ma grande amie Maryse m’a tancé gentiment parce que j’avais utilisé le mot brassière au lieu de soutien-gorge en parlant de cet accessoire vestimentaire féminin. Il paraît, selon elle, que brassière dans ce sens est un anglicisme qui ne se dit plus au Québec. Le mot existe en français bien sûr mais il serait réservé à une sorte chemise de bébé qui se ferme dans le dos.

Brassière dans le français de référence québécois

Les ouvrages et les références en matière de langue française au Québec sont unanimes : brassière pour soutien-gorge est une faute. Le multi-dictionnaire nous dit :

*brassière : anglicisme au sens de soutien-gorge

Le  dictionnaire québécois de l’heure, l’Usito, parle de brassière dans les termes suivants.

Bien qu’il soit l’extension d’un emploi ayant eu cours en français, cet emploi est critiqué; l’influence de l’anglais brassiere a dû contribuer à en maintenir la vitalité en français québécois.

Enfin, l’Office québécois de la langue française dans son grand dictionnaire terminologique nous sert une réponse plutôt sibylline en disant à propos de soutien-gorge:

Terme utilisé dans certains contextes: brassière

Soutien-gorge et brassière dans le bon usage québécois

Un tour d’horizon des sites web québécois et canadiens de vente de lingerie féminine, comme  La vie en Rose, la Senza, Simons et Boutique Fémina nous révèle que soutien-gorge est de loin le terme le plus utilisé.  Mais il est quand même intéressant de constater que quelques sites, comme Amazone.ca et H & M utilisent les deux termes.

Cependant lorsque l’on regarde les sites web de petites annonces où les textes ne sont pas soumis à une révision langagière ou à la même auto-surveillance, on voit presque autant de brassière que de soutien-gorge. Par exemple, sur le site de Kijiji Montréal le 17 octobre 2022, j’ai compté 111 petites annonces de soutien-gorge et 106 sites de brassière à vendre.

Toutes ces observations ne sont  nullement surprenantes et confirment ce que disent les linguistes depuis très longtemps au sujet de l’usage québécois, c’est-à-dire l’écart entre l’usage formel corrigé et auto-surveillé d’une part et l’usage informel, surtout oral, d’autre part. Ajoutons que dans le contexte québécois cet usage informel ou familier est souvent fortement stigmatisé.

Brassière, un anglicisme ?

Les grammairiens reprochent à brassière d’être un calque de l’anglo-américain brassiere. Or, il n’échappe à personne que le mot anglo-américain en question vient tout droit du français. Ces mêmes grammairiens diront que l’anglais a « emprunté » le mot au français. De toute évidence cet « emprunt » n’a provoqué aucune critique chez les anglophones. Par contre, lorsque les Québécois et surtout les Québécoises récupèrent le même mot « prêté », ce dernier devient du coup un vilain anglicisme.

Un changement en cours et le retour de brassière

Évidemment, l’usage québécoise de brassière n’est pas fautif en soi si ce n’est qu’il diffère de l’usage européen. C’est le même mot mais avec des sens différents. Et puisque les deux piliers du purisme linguistique québécois sont l’anglophobie et la soumission à l’usage européen, l’usage québécois de brassière était condamné au pilori.

Or, imaginons un instant que le bon usage européen – moins anglophobe voire plutôt anglophile  – se met à évoluer vers un plus grand usage de brassière au sens anglo-américain. C’est d’ailleurs exactement ce que nous allons examiner dans un prochain billet.

Nous verrons que tout porte à croire que notre québécisme brassière tant vilipendé comme anglicisme était peut-être à l’avant-garde du changement. 

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