L’anglais et l’avenir du français en l’Afrique

14 avril 2012

Quand il s’agit des perspectives démographiques à venir de la langue française, l’Afrique occupe une place de premier plan. Alors que le français est en déclin à peu près partout ailleurs, il  est en plein essor en Afrique. On nous dit qu’en 2050 des 750 millions de francophones dans le monde, 84% seront africains.

C’est d’ailleurs à peu près le seul moment où l’on parle de la langue française en Afrique. Pour tout le reste, il faut bien dire que l’Afrique occupe une place bien marginale. Dans le monde de l’édition, de la littérature, de la chanson, de la dictionnairique, de la linguistique, de la production audiovisuelle, bref de la culture de langue française en général, la place de l’Afrique dans la francophonie  ressemble à une peau de chagrin.

Qu’à cela ne tienne. Combien  des sièges de l’Académie française seront réservés aux Africains en 2050 ? Quelle place occuperont les africanismes dans les dictionnaires de la langue française ? Je ne suis pas optimiste. Je ne crois pas aux miracles. J’ai bien l’impression qu’en 2050 le poids culturel de l’Afrique dite francophone  dans la francophonie sera à peu près le même que celui d’aujourd’hui ou moins. Je m’explique.

C’est qu’il  y a une nouvelle donnée imprévisible dans la dynamique de l’évolution démographique du français en Afrique : la montée de l’anglais.

On pense en premier lieu à la décision du Rwanda en 2005 de faire de l’anglais la langue de l’enseignement et de l’administration. Il faut ajouter que c’était dans un contexte politique bien particulier, mais le pays ne semble pas s’en porter trop mal.

N’oublions pas également le sort du français dans l’ancienne Indochine française : le Vietnam, le Cambodge et le Laos où le français a été très rapidement remplacé par l’anglais.

Mais on n’en est pas là en Afrique. Tant s’en faut. Cependant, sans vouloir généraliser, on peut dire qu’en marge de l’émergence des langues nationales véhiculaires et d’une sorte de recul du français dans certains pays, on voit un intérêt de plus en plus marqué pour l’anglais.  Pour faire court, voici en vrac quelques éléments d’une nouvelle dynamique qui semble favoriser une plus grande pénétration de l’anglais.

1. La désaffection des Africains envers la France
La montée du discours anti-immigration, les difficultés d’obtention des visas de séjour ou d’études, les tracas de la vie des Africains en France, les vestiges de l’héritage colonial, l’échec en termes de développement économique de 50 ans de coopération avec la France, tout cela contribue à rendre les Africains moins friands de la culture et de la langue françaises.

2. Le développement de nouvelles filières d’émigration d’études ou de séjour permanent vers les Etats-Unis et le Canada.

3. La formation universitaire des élites africaines aux Etats-Unis et au Canada. En 2050 seront au pouvoir les jeunes qui ont aujourd’hui cinq à dix ans. Les élites formées surtout en France et en Europe auront disparu.

4. La culture populaire américaine, et surtout dans la variante afro-américaine est nettement plus attirante que la culture populaire française.

5. Le développement de formes régionales d’intégration politique et économique avec les autres pays d’autres langues officielles.

6. La facilité de l’apprentissage de l’anglais par rapport à celui du français.

7. La mondialisation en général, et plus particulièrement la présence de plus importante  de la Chine en Afrique.

Conclusion.  Est-ce que le français restera le bon choix dans l’avenir dans des pays où la pénétration du français est déjà limitée ?  Il me semble que beaucoup d’Africains se poseront la question.

Évidemment, je ne dis pas que le français est menacé de disparition. Je dis simplement que cette marche du français en Afrique vers l’an 2050 risque d’être plus boiteuse qu’on pense.


Est-ce qu’il existe une Afrique francophone ?

9 avril 2012

Je n’aime pas beaucoup le terme Afrique francophone. le le trouve  réducteur, trompeur et surtout erroné. Dire que certains pays d’Afrique sont francophones, comme le sont la France et le Québec, c’est, à mon avis, nier une importante réalité fondamentale: l’Afrique a ses propres langues qui sont de loin plus importantes que le français dans la vie quotidienne de ses habitants.

Et c’est ça qui ne cesse de m’agacer dans cette appellation d’Afrique francophone qui est venue remplacer une appellation d’une autre époque, l’Afrique française dans ses deux variantes: l’A.O.F, l’Afrique occidentale française, et l’A.E.F, l’Afrique équatoriale française.

Même si c’est un peu longuet, je préfère le terme l’Afrique de langue officielle française.

Le français en Afrique est un héritage de l’époque coloniale.  On peut également croire que cette époque est assez loin pour que le français ne soit plus perçu comme une langue étrangère imposée mais plutôt comme une sorte de langue seconde qui fait maintenant partie du paysage africain. Et cela d’autant plus que le français est la langue officielle de l’administration, de l’enseignement, des affaires et des communications internationales.

Qu’en est-il des langues africaines ? Partout en Afrique on appelle langues nationales les langues locales ayant un certain statut politique reconnu.

Mais ce que je retrouve curieux dans tout cela est le fait que ces pays africains semblent être les seuls au monde où la langue officielle n’est pas une langue autochtone.

En fait, est-ce qu’il existe des pays européens ou asiatiques où la langue officielle n’est pas une langue du pays?

Les Norvégiens, les Suédois, les Danois, les Hollandais, les Anglais, les Irlandais, les Russes, etc. parlent leur langue. Une des revendications de tout mouvement nationaliste est de promouvoir ou retrouver sa langue nationale. Parlons-en aux Estoniens, Léttons, Lithuaniens, Ukrainiens, Catalans, Basques et même aux Québécois.

Dans les pays qui ont plusieurs langues dont une d’héritage colonial, comme l’Inde, au moins une langue locale a le statut de langue officielle.  Rappelons-nous qu’en Haïti le créole et le français ont le statut de langues officielles.

Or, en Afrique dite francophone c’est différent. Alors que le français est la principale langue ou la langue maternelle de généralement moins de 1% de la population, ce qui veut dire que 99% de la population parle une autre langue comme langue maternelle, aucune langue africaine n’a le statut de langue officielle ou co-officielle.

Il va sans dire que la connaissance du français est fonction de la scolarisation dans la mesure où le français est la langue de l’enseignement à tous les niveaux.  La francisation de l’Afrique se fera avec la généralisation de l’accès à l’école. C’est du moins l’idée.

Est-ce qu’on peut croire que tôt ou tard le français deviendra la langue maternelle des Africains ? Peut-être. J’ai des doutes à ce sujet puisqu’il y a de nouveaux éléments dans la dynamique de l’évolution du statut du français en Afrique.

Premièrement, et comme j’ai évoqué dans mon post précédent, il y a l’émergence partout, soit de langues régionales véhiculaires comme le wolof au Sénégal, le bambara au Marli et le lingala au Congo. soit de nouvelles langues mixtes comme le nouchi en Côte d’Ivoire ou le camfranglais au Caméroun. Sans prétendre pour l’instant au statut de langues officielles, ces langues peuvent remplacer ou ont déjà remplacé le français comme langue commune nationale. Certains observateurs parlent même du recul du français dans certains pays.

Deuxièmement, et ce sera le sujet d’un prochain post, il y a la menace grandissante à l’horizon de l’anglais. On a vu le Rwanda basculer du français à l’anglais en 2005 sans trop de mal. Bien au contraire, on dirait que cela a été un facteur de sa réussite économique. Son voisin, le Burundi, pourrait faire le saut. Et pourquoi pas la République démocratique du Congo, un autre voisin?

On est loin de tout ça, mais il y a d’autres facteurs qui donnent à l’anglais un fort pouvoir attractif qui ne cesse d’augmenter.


Est-ce que l’avenir du français est en Afrique ?

4 avril 2012

J’ai entendu sur TV5 Monde il y a quelques jours cette affirmation bien connue sur le nombre de francophones dans le monde et à venir. À l’heure actuelle, il y aurait quelque 220 millions de francophones et vers l’an 2050 il y en aura 700 millions. L’essentiel de la croissance viendra de l’Afrique dite francophone.

À ce sujet, il faut lire l’excellent article de Richard Marcoux et Mathieu Gagné sur les perspectives démographiques de la francophonie. http://id.erudit.org/iderudit/008997ar
Selon les auteurs, en 2050, 84% des francophones résideront en Afrique.

Évidemment, tout est question de définition et de l’usage très élastique du mot francophone. On a beaucoup tendance à confondre langue officielle d’un pays et langue d’usage des habitants. Or, il est évident que dans tous les pays africains de langue officielle française, il existe une multitude de langues africaines bien vivantes.

Si je me souviens bien, on avance le chiffre de 1 à 5% de la population africaine dite francophone qui serait de langue maternelle française. Les autres seraient des francisants à des degrés différents. Par contre, l’avenir se jouera dans l’éducation. Comme le français est presque partout la langue officielle de l’instruction, on peut dire qu’au fur et à mesure que l’Afrique s’instruit elle va se franciser.

Le scénario est intéressant mais il y manque une donnée importante et largement ignorée: quel rôle vont jouer les langues africaines dans ce scénario.

Une des principales justifications du maintien du français comme langue officielle dans les pays africains a toujours été son rôle de langue commune dans des pays où il existe une pléthore de langues autochtones. Et de surcroît le français est une grande langue internationale. On voit mal dans ce contexte quel rôle pourraient jouer les langues autochtones.

Or, les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu. Premièrement, dans presque tous les pays africains, il y a des tentatives d’introduction des langues africaines comme langues d’enseignement, surtout au niveau primaire.  Il était devenu évident que vouloir utiliser le français à l’école comme si tous les Africains étaient de petits Français était absurde.

En outre, toute cette affaire a toujours eu quelques vagues relents de néo-colonialisme français. En effet, est-ce qu’il y a d’autres pays au monde où l’enseignement primaire se fait dans une langue autre que celle de l’enfant ?

Deuxièmement, et à mon avis un phénomène particulièrement intéressant et imprévu, est l’émergence de véritables langues nationales communes identitaires.  C’est que malgré ce grand nombre de langues autochtones, il a toujours existé des langues de commerce  ou de communication régionale.

On a vu par exemple au Sénégal l’émergence du wolof comme langue commune. À tel point que des observateurs parlent du recul du français au Sénégal.

Mais plus intéressant encore est le cas du nouchi en Côte d’Ivoire, pays connu pour le grand nombre de ses langues locales.  Voici ce qu’en dit Wikipédia:

Le nouchi est un mélange de français et de plusieurs langues de Cote d’Ivoire, il est apparu dans les années 70. Il était à l’origine parlé par des jeunes citadins mal scolarisés ou primodélinquants ne maîtrisant pas bien la langue française. Le Nouchi était pratiqué par eux surtout aux abords des marchés, des gares, des cinémas avant d’être véhiculé dans toutes toutes les couches sociales. De langue des petits voyous d’abidjan, le Nouchi est devenu la langue de la comédie populaire ivoirienne, voire de la musique ivoirienne. C’est aussi la langue de la « débrouille » dans les rues d’Abidjan.

Il n’est pas question du nouchi comme langue officielle de la Côte d’Ivoire, mais on ne sait pas ce que l’avenir nous réserve. Il est la langue commune d’une grande partie de la population, il intègre beaucoup d’éléments des principales langues du pays, il est originaire du pays et non imposé de l’extérieur et commence à être reconnu dans les médias et chez les personnalités politiques. Voilà autant de raisons de croire que dans une génération ou deux, la Côte d’Ivoire aura une véritable langue nationale commune qui pourrait basculer en langue officielle.

En fait, il suffit de fouiller en dessous des statistiques officielles pour constater que dans tous les pays africains de langue officielle française, il existe, soit un phénomène de création d’une langue commune par une jeunesse urbaine souvent désoeuvrée et en mal d’identité, soit l’émergence d’une langue régionale.

Que ce soit le francanglais ou le camfranglais du Caméroun ou le lingala de la République démocratique du Congo, on voit poindre de véritables langues nationales africaines infiniment mieux enracinées que le français.

Est-ce que l’avenir du français est en Afrique ? Il faudrait poser la question autrement : est-ce que l’avenir de l’Afrique sera en français ? Rien n’est moins sûr.