Norme et usage, l’exemple de condominium et condo au Québec

Si vous cherchez à acheter un appartement au Québec, vous verrez et entendrez partout le mot condominium et surtout son abréviation condo. C’est de loin le terme le plus répandu pour désigner une réalité juridique appelée la copropriété divise. En effet, contrairement à la copropriété indivise, la copropriété divise donne à l’acquéreur un titre de propriété exclusive sur les parties privatives et une quote-part des parties communes de l’immeuble.

Le mot condominium n’a jamais existé dans la législation québécoise. Dans les documents à caractère officiel on ne voit que copropriété divise avec parfois mention «communément appelé condominium». Ce dernier est donc pour ainsi dire une pure invention du marché immobilier, invention venue de l’anglo-américain bien entendu.

L’Office québécois de la langue française et condominium

Il va sans dire que l’Office québécois de la langue française n’aime pas condominium et condo et les condamne dans les termes suivants :

Condominium et condo sont des termes de common law et des emprunts intégraux à l’anglais qui ne viennent combler aucune lacune en français.

Condo divise est à éviter puisqu’il est formé à partir du terme anglais condo.

Condominium dans les dictionnaires

Au mois de septembre 2021, condominium se définit ainsi dans le Larousse en ligne:

Droit de souveraineté exercé en commun par plusieurs puissances sur un même pays.

Avouons que c’est un usage très rare qui n’a rien avoir avec nos appartements québécois.

Quant au Robert, on retrouve l’entrée suivante:

ANGLICISME

1. Souveraineté exercée par deux ou plusieurs États sur un même pays colonisé.

2.  Immeuble en copropriété, dans un pays anglo-saxon (COURANT EN FRANÇAIS DU CANADA). – ABRÉVIATION condo.

On ne remarque aucune allusion aux recommendations de l’Office québécois de la langue française ni à la distinction entre copropriété indivise et copropriété divise.

Dans le dictionnaire québécois en ligne Usito, nous avons l’entrée suivante pour condominium:

Autorité souveraine exercée en commun par deux ou plusieurs États sur un même pays.

ANGLICISME CRITIQUÉ

Q/C condominium

L’emploi de condominium (mot de l’anglais nord-américain) est critiqué comme synonyme non standard de copropriétéimmeuble en copropriété.

REM. L’abréviation condo est également critiquée en ce sens.

Comment expliquer le succès de condominium ?

Malgré leur absence des textes à caractère juridique et malgré le fait que selon l’Office québécois de la langue française, condominium et condo ne comblent aucune lacune du français, comment expliquer qu’ils sont de très loin les termes utilisés dans la publicité et les documents destinés au grand public?

Les condominiums de la tour Fides
Les condos ELI
Les condominiums Maestria

Il paraît que ces termes ont été importés du jargon anglo-américain de l’immobilier au cours des années 1980 lors de la construction de quelques tours de luxe au centre-ville de Montréal.

Dès lors ils se répandront rapidement pour désigner l’unité de logement même (condo à vendre) et le mode de propriété (immeuble en condo).  On voit même des formules hybrides comme condo divise ou indivise ou même condo à louer. Pour beaucoup de gens, surtout des étrangers, condo est simplement synonyme d’appartement.

À mon avis, le grand succès de condominium et surtout condo s’explique par quatre facteurs:

  1. Les termes condo et condominium sont parfaitement intégrés dans le système phonétique du français. On remarque en particulier que l’abréviation condo, prononcée avec la voyelle nasale  s’insère dans la série de mots se terminant en –o, comme resto, négos, proprio, perso, anglo, piano, auto, etc. On peut croire que ces deux mots ne sont pas perçus comme des mots étrangers.

  2. L’équivalent normatif, copropriété indivise, est beaucoup plus longue et réservé à l’usage officiel, administratif et formel.

  3. Ces termes sont bilingues anglais-français et font partie du jargon de l’industrie à l’échelle nord-américaine..

  4. Le gouvernement et l’Office québécois de la langue française n’exercent qu’un pouvoir fort limité sur l’usage du grand public. Il existe bien entendu une norme terminologique que l’on retrouve dans les textes à caractère juridique comme le code civil, les contrats, les règlements, les textes universitaires, etc. Par contre, l’usage courant obéit à ses propres règles.

Une norme ou plusieurs normes ?

Le cas de l’usage variable de condo, condominium et copropriété divise n’a rien d’exceptionnel. C’est un exemple parmi tant d’autres de l’écart entre la norme linguistique préconisée par les autorités et l’usage quotidien des locuteurs.

En fait, il faudrait envisager l’existence de plusieurs normes. Un de mes professeurs de sociolinguistique évoquait l’existence d’une norme explicite, l’officielle, et d’une ou plusieurs normes implicites, c’est à dire, celles qui déterminent les usages réels non officiels. On retrouve cette idée dans le concept de registre de langue. L’important c’est qu’il n’existe pas seulement une norme mais plusieurs normes souvent hiérarchisées socialement mais tout aussi vivantes et légitimes les unes que les autres.

C’est d’ailleurs un des thèmes centraux de ce blogue: l’impuissance des autorités à contraindre l’usage langagier en dehors des contextes ou lieux où elles détiennent un véritable pouvoir de sanction. Je pense entre autres aux textes administratifs, juridiques ou les documents scolaires.

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