En finir avec le terme emprunt lexical

S’il y a un terme qui m’agace quand on parle de questions de langue,  c’est celui d’emprunt.  C’est que ces jours-ci je suis en train de lire Les anglicismes : des emprunts à intérêt variable? : recueil des actes / colloque du réseau des Organismes francophones de politique et d’aménagement linguistiques (OPALE), colloque tenu le 18 et 19 octobre 2016 à Québec. À peine deux ans plus tard, il s’est tenu un autre colloque cette fois-ci à l’Université de Sherbrooke en mai 2018 et intitulé  A-t-on encore peur des anglicismes  ? Perception actuelle des anglicismes au Québec et dans l’espace francophone. On peut trouver la plupart des communications ici. C’est dire que la question des anglicismes est une obsession québécoise.

Chaque fois que je vois le terme emprunt linguistique, je ne peux m’empêcher de penser à l’image d’une langue emprunteuse utilisant de façon temporaire un élément provenant d’une langue prêteuse, quitte à rendra l’élément en question à cette dernière après usage. Or, ce n’est pas ça du tout. Tant s’en faut.  Les mots empruntés ne sont jamais rendus à leurs propriétaires d’origine pour ainsi dire. Tant pis pour la langue prêteuse. Alors qu’est-ce qu’un emprunt?

Évidemment, quand on parle d’emprunt linguistique, il s’agit du fait pour une langue de prendre et de faire siens des éléments, surtout des mots, dans une autre langue. Si l’influence de l’anglais  sur le français demeure une préoccupation bien québécoise, il ne faut pas oublier qu’au cours de son histoire, le français a connu bien des influences étrangères. Et n’oublions surtout pas que l’anglais ne s’est pas gêné pour se nourrir allègrement à toutes les langues avec lesquelles il est entré en contact.

Quand est-ce que l’emprunt cesse de l’être ?

Les éléments étrangers, les xénismes, sont pour la plupart intégrés sémantiquement  et phonétiquement – même graphiquement – dans la langue d’accueil et finissent par fonctionner comme tous les autres mots. Ils ne sont plus perçus comme étrangers.

Dans son excellent ouvrage intitulé On ne parle pas franglais, (De Boeck Duculot, 2008), Paul Bogaards écrit :

En réponse à un questionnaire, une majorité des loctueurs français ne reconnaît qu’une dizaine de ces mots comme de vrais anglicismes : lady, bobbies, made in, business, tandis qu’une quinzaine d’autres, dont parking, penalty, match, interview et blue jeans sont acceptés par au moins 80% des personnes interrogées comme des mots français à part entière. (p. 94)

C’est d’ailleurs ce qui explique qu’au Québec tant d’anglicismes critiqués depuis des décennies sont toujours vivants aujourd’hui. Ils sont si bien intégrés qu’ils font partie du français québécois comme tous les autre mots et ne sont pas perçus comme des mots étrangers à éviter. 

J’ai déjà démontré ici comment, dans le cadre d’une réforme de l’enseignement supérieur européen,  le grade universitaire master, provenant tout droit du monde universitaire anglo-américain et qu’on appelle maîtrise au Québec, s’est répandu rapidement en France sous la prononciation mastère. Par ailleurs les spécialistes de l’étymologie nous diront que master vient du français maître et que le français contemporain n’a fait que rapatrier un ancien mot français.

Le problème, c’est que les puristes confondent origine ou l’étymologie et fonctionnalité. Les linguistes parlent de diachronie et de synchronie. C’est dire que l’usage originel, si intéressant soit-il, ne détermine pas forcément l’usage actuel de ces derniers. C’est ainsi qu’il faut voir le mot master dans le système des grades universitaires français et européens indépendamment de son usage dans le monde universitaire anglo-américain.

Importation oui, emprunt non

Par quoi remplacer le terme emprunt?  Pour l’instant et en attendant mieux, je me propose d’utiliser le terme importation et le verbe importer.

Il est évident que lorsque des langues sont en contact, même virtuellement comme c’est beaucoup le cas aujourd’hui, il y a beaucoup d’importations d’une langue à l’autre. Si les importations de l’anglais restent la bête noire des grammairiens et puristes qui perdent leur temps à déplorer la détérioration de la langue ou à chercher des poux dans le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française, il revient aux sociolinguistes, aux sociologues et aux anthropologues d’observer et analyser les mécanismes par lesquels passent les importations.

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