Y a-t-il un effet boomerang de la publicité anti-anglicismes?

À quoi sert  réellement la publicité anti-anglicismes?

Dans un billet précédent, j’avais évoqué cette publicité, plutôt ratée disent les mauvaises langues,  du Ministère de la langue français, et mettant en vedette un faucon pèlerin censé représenter le français en danger de disparition au Québec à cause des anglicismes.

On peut bien dire que ce genre de publicité, comme toutes les lamentations sur l’envahissement des anglicismes, ne sert à rien si ce n’est de stigmatiser le langage populaire.  Mais il y a un côté sérieux qui intéresse les linguistes et surtout les sociolinguistes. En effet, est-ce que tous ces discours anti-anglicismes ne servent-ils pas à consolider davantage les anglicismes dans le français?

Cette idée un peu loufoque me vaut toujours des quolibets de la part de mes amis grammairiens et puristes grincheux si prompts à dénoncer les anglicismes de tout acabit. Or je constate tout simplement que malgré toutes les dénonciations depuis bien des décennies la grande majorité des anglicismes, sans compter les nouveaux qui débarquent tous les jours, sont bien vivants.

La diffusion des anglicismes

Que se passe-t-il? Pourtant, c’est très simple. Quand on parle de l’usage d’un anglicisme on parle de l’aboutissement d’un processus qui conduit d’une première innovation lexicale suivie d’une diffusion par divers mécanismes vers une plus grande masse de locuteurs.

Par exemple, au moment où j’écris ces lignes, c’est la fin de la saison des déclarations de revenus individuelles au Canada à des fins fiscales. La très grande majorité des Québécois utilisent le terme rapport d’impôt pour désigner ce document maintenant électronique qu’ils envoient au gouvernement. Vous ne verrez jamais ce dernier terme dans les documents officiels et rarement dans les grands médias de communication. Tout le monde comprend déclaration de revenus et peut l’utiliser si besoin en est mais le terme le plus répandu à l’oral reste rapport d’impôt. Il a été dénoncé comme vilain anglicisme depuis toujours et pourtant il est bien vivant. On voit aussi le terme hybride déclaration d’impôt.

L’effet boomerang de la publicité anti-anglicismes

Je prétends que le fait de pointer du doigt ces mots, surtout dans les grands médias de communication, les diffuse nécessairement et les rend donc disponibles chez les locuteurs qui pourront s’en servir s’ils le désirent. C’est l’effet boomerang de toutes ces campagnes anti-anglicismes.

Dans le cas de la publicité en question ici, je suis absolument convaincu que bon nombre de Québécois un peu plus âgés – dont moi – ont appris l’usage de ces anglicismes à travers cette même publicité.  

Par conséquent – du coup je suis tenté de dire – cette publicité a accéléré l’intégration de ces anglicismes dans le vocabulaire disponible chez un plus grand bassin de locuteurs.

Un exemple frappant de cet effet boomerang

Mais voyons un exemple concret de cette idée un peu saugrenue. Dans la foulée de la petite controverse provoquée par la publicité du faucon pélerin, nous voyons plein de textes qui ont utilisé les anglicismes en question. Ainsi dans le journal La presse du 14 avril 2023, pouvait-on lire:

Nos enfants ne savent plus écrire, c’est épouvantable ! À écouter le faucon caquiste, les élèves n’ont plus les skills pour réussir leur épreuve ministérielle de cinquième secondaire. C’est tellement sketch que même MC Gilles s’est permis de se porter à la défense du grand retour des dictées traditionnelles à Tout le monde en parle. Au secours !

Qui a écrit ce texte? Voici la présentation des autrices par le même journal:

Alexandra Pharand, Rosalie Meloche-Dumas.

L’autrice est enseignante de français au secondaire et vice-présidente aux communications de l’AQPF(Association québécoise des professeur.e.s de français). , L’autrice est enseignante de français au secondaire, chargée de cours au département de didactique de l’Université de Montréal et ambassadrice de l’AQPF.

On aura perçu le ton ironique dans l’usage des anglicismes en question bien sûr mais le fait reste que ce sont deux professeures de français qui les utilisent en plein jour.

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