Succès et insuccès lexicaux québécois (4): le succès mitigé: «friteuse à air chaud» et «air fryer»

25 février 2024

Il paraît que l’électroménager à la mode en 2024 est la friteuse à air chaud, appelée également la friteuse sans huile en Europe ou air fryer en anglais.

Le terme privilégié de l’Office québécois de la langue française

Le néologisme friteuse à air chaud est bien entendu privilégié par l’Office québécois de la langue française et par conséquent il s’impose partout dans les contextes où les locuteurs québécois veulent en principe faire appel au Bon usage québécois. J’avoue que je ne suis pas au courant des nuances entre un terme privilégié, recommandé, normalisé ou officialisé selon les critères de l’Office.

Friteuse à air chaud et air fryer dans les médias

L’anglicisme air fryer n’a pas disparu. Voyons le texte suivant dans le journal La presse du 13 février 2024:

Les médias étaient très occupés par le show populiste de Justin autour du vol d’autos, puis par le cocktailgate des caquistes, par les voyages en jet de Taylor Swift ou les recettes d’ailes de poulet à l’air fryer pour le Super Bowl. Grosse semaine.

Nous savons que l’usage évolue; le terme friteuse à air chaud est en train de se répandre. C’est ainsi que nous trouvons dans le même journal dix jours plus tard, dans La presse du 24 février 2024, un article intitulé: Pour ou contre, Friteuse à air chaud : mode ou révolution

Dans l’article, le terme friteuse à air chaud apparaît pas moins de 19 fois. Air fryer est totalement absent. La domination de friteuse à air chaud semble totale. Une belle réussite en perspective . C’est très bien mais avant de crier victoire, regardons la fin de l’article et nous voyons la photographie de la couverture du livre de cuisine de l’autrice interviewée dans l’article.

Quel terme dans le titre d’un livre de cuisine?

Il faut le voir pour le croire. Voici le titre du livre:


L’amour est dans l’air fryer – 75 recettes crousti-fondantes à la Diaz

Signalons que l’éditeur, Les Éditions de l’Homme, est une vieille maison d’édition québécoise avec une importante activité commerciale en Europe. (Je me demande d’ailleurs combien de temps l’entreprise va garder son vieux nom).

Le choix du titre d’un livre ne se fait pas à la légère dans une grande maison d’édition. J’imagine que plusieurs personnes se sont penchées sur la question du choix du terme air fryer au lieu de friteuse à air chaud. Quel était leur raisonnement? L’office québécois de la langue français va-t-il écrire à l’éditeur pour exiger la correction, c’est-à-dire envoyer les exemplaires imprimés au pilon et réimprimer le tout?

Je n’en sais rien mais air fryer semble être là pour rester à côté de friteuse à air chaud.


Succès et insuccès lexicaux québécois (3) le succès mitigé: «Poutine Week»

4 février 2024

Le 17 avril 2021 paraît dans la Gazette officielle du Québec l’avis de recommandation de l’Office québécois de la langue française au sujet des mots formés avec l’anglais week. En voici quelques extraits:

Avis de recommandation

À sa séance du 30 mars 2021, l’Office québécois de la langue française a émis la recommandation générale d’usage suivante.

Noms de semaines thématiques : équivalents français de l’élément anglais week

De nombreuses semaines thématiques, la plupart du temps à vocation culinaire, voient le jour au Québec. Lors de telles semaines, par exemple, un mets ou un aliment est mis à l’honneur. Les entreprises participantes cherchent alors à se démarquer en l’apprêtant de manière originale afin de susciter l’intérêt de la clientèle. On constate que plusieurs de ces semaines sont désignées par l’élément anglais week précédé du nom du mets ou de l’aliment vedette.

L’élément week est un emprunt jugé non acceptable. Absent des ouvrages de référence du français, il est de surcroît utilisé dans des structures non conformes à la syntaxe française.

Par conséquent, l’Office québécois de la langue française recommande, dans les désignations des semaines thématiques, l’emploi du nom semaine; par exemple : Semaine du spaghettiSemaine de la pizza ou Semaine mûres et framboises.

Comme nous l’avons vu dans notre billet précédent, un tel avis juridique ratisse large et oblige de nombreux usagers québécois à utiliser, du moins dans leurs communications professionnelles, les formulations avec Semaine.

Si nous sommes d’accord que les Pizza Week, les Spaghetti Week ou les Fashion Week sont interdits de séjour dans les documents de toutes les instances administratives québécoises, qu’en est-il des usages en ce début 2024 des locuteurs qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes linguistiques ?

Tourisme Montréal et la Poutine Week

Tourisme Montréal est un organisme privé à but non lucratif dédié à la promotion du tourisme dans la ville. Je ne crois pas qu’il soit soumis aux contraintes des avis de recommandation de l’Office québécois de la langue française mais je suis certain qu’à tous les niveaux le français est bien soigné. Ainsi est-il intéressant de lire sur son site web du 3 février 2024:

La semaine de la poutine 2024

Pendant sept jours bien gourmands, du 1er au 7 février 2024, la métropole célèbre la 12e édition de la Semaine de la poutine.

Or dans la même page web le paragraphe suivant commence comme suit:

La Poutine Week 2024

Pour sa 12e édition, la Poutine Week promet une fois de plus des créations pour toutes les envies. Pendant une semaine, les restaurants du Grand Montréal proposent leurs versions du plat national non officiel du Québec.

En fait, après ses deux présences au début de la page, Semaine de la poutine disparaît, remplacé à sept reprises par Poutine Week.

D’autres exemples de Poutine Week au 2 février 2024

De nombreux sites web affichent Poutine Week, à commencer par le site officiel de l’évènement lapoutineweek.com. Et voici un exemple intéressant où les deux formulations se trouvent dans la même phrase:

Bonne nouvelle! La Semaine de la Poutine ou Poutine Week est (ENFIN) de retour pour sa 12e édition et ça promet d’être complètement gourmand. Mettez de côté la classique frites, sauce brune et fromage en grains et régalez-vous d’idées décadentes et originales!

Un autre exemple d’un site web qui annonce en gros caractères

Semaine de la Poutine 2024: voici ENFIN tous les restaurants participants

Et à la ligne suivante:

La fameuse Poutine Week est de retour pour une 12e édition!

Enfin, un de mes sites préférés, La Belle Tonki annonce:

💥 ON EST BACK POUR LA POUTINE WEEK 2024 💥

Vous le savez, notre amour pour @lapoutineweek est indéniable, et chaque année, on relève le défi avec passion. ❤️‍🔥

Est-ce que Poutine Week va disparaître?

On peut croire que les occurrences de Poutine Week que nous avons vues ne sont que des vestiges d’un usage appelé à disparaître devant la forme recommandée de l’Office québécois de la langue française. C’est tout à fait possible; l’avenir nous le dira. Il se peut par exemple que le législateur impose de nouvelles restrictions sur l’usage de l’anglais jusque dans les entreprises privées ou les nouveaux médias de communication. 

Conclusion: la Semaine de la poutine, un succès lexical mitigé

S’il est indéniable que la recommandation officielle, Semaine de la poutine, a du succès, imposé dirais-je, je préfère parler d’un succès mitigé dans la mesure où l’Office a senti le besoin d’imposer son usage de manière officielle devant la prolifération menaçante de Poutine Week et d’autres formes analogues.

Cependant il y a plusieurs éléments qui me font penser que Poutine Week, comme tant d’autres formes stigmatisées, n’est pas près de disparaître. Je reviendrai sur cette question plus en profondeur dans un autre billet mais mentionnons ici quelques pistes de réflexion.

  1. L’attractivité stylistique de la formulation en anglais associée au modernisme et à la créativité.
  2. La perception d’une certaine lourdeur de forme dans les termes recommandés par l’Office
  3. Un possible rapport avec le mot weekend qui lui est aussi dans le collimateur de l’Office québécois de la langue française.
  4. Plusieurs exemples d’usages européens semblables plutôt prestigieux dont le Paris Fashion Week.
  5. La prolifération de nouveaux espaces d’expression comme les réseaux et médias sociaux qui échappent à tout contrôle des instances de régulation linguistique.

Succès et insuccès lexicaux québécois (2) le succès imposé

27 janvier 2024

La production de néologismes québécois

Nous savons que la créativité lexicale québécoise formelle aujourd’hui passe généralement par l’Office québécois de la langue française. En collaboration avec les milieux professionnels québécois concernés et les organismes européens intéressés, une équipe de terminologues professionnels de l’Office maintient une veille lexicale anti-anglicisme et s’empresse de produire des équivalents en français des termes anglo-américains menaçants.

Ces néologismes se présentent presque toujours sous forme de paires A/B avec le terme recommandé A et le terme déconseillé B. Nous connaissons par exemple: courriel/e-mail, égoportrait/selfie, infolettre/newsletter, mention j’aime/like, anxiété de ratage/FOMO, baladodiffusion/podcast, diffusion en continu/streaming, témoin de connexion/cookie, hypertrucage/deep fake, chaîne de blocs/blockchain, etc,

Quid de l’usage des néologismes?

Mais une fois lancés dans les nombreux lexiques qu’élabore l’OQLF, comment s’implantent-ils, ces nouveaux mots dans l’usage québécois et dans celui du reste de la francophonie? À cet égard nous disposons aujourd’hui de plusieurs études importantes et de nombreux articles de linguistique et de sociolinguistique sur les facteurs qui jouent dans l’implantation de ces néologismes créés de toutes pièces.

Il faut dire que les nouvelles technologies de l’Internet et des moteurs de recherche comme Google ont révolutionné les études lexicographiques en nous permettant par exemple d’étudier, chiffres à l’appui, les occurrences de tel ou tel mot dans les médias d’information, le tout avec une rapidité inimaginable il y a 25 ans.

Les registres d’usage et les néologismes

Quand on parle du succès ou de l’implantation des néologismes émanant des terminologues du Québec il faut toujours tenir compte du registre de communication qu’on appelait autrefois niveau de langue. En schématisant beaucoup, on dira qu’il existe quatre axes de registres: la langue écrite formelle, la langue parlée formelle, la langue écrite informelle et la langue parlée informelle.

Une implantation est bien réussie lorsque le néologisme est utilisé couramment dans tous les registres. C’est le cas par exemple de balado, infolettre et courriel.

Quand on parle d’une langue soutenue ou soignée, on fait référence au registre formel. Ce dernier se distingue en particulier par son mode production. Il s’agit d’un langage réfléchi, c’est-à-dire révisé, contrôlé et caractérisé par une grammaire et un vocabulaire recherchés. Le locuteur est conscient de l’importance de bien parler et porte une attention particulière à son mode d’expression.

De par leur mode de création, les néologismes de l’Office relèvent toujours du registre écrit-formel. Par contre, il existe parallèlement toute une créativité lexicale spontanée dans les registres informels qui ne manquent souvent pas d’attirer les foudres des grammairiens et puristes grincheux.

Un succès assuré dans le registre formel

Disons d’emblée que selon des dispositions législatives, l’Office québécois de la langue française, avec son Comité d’officialisation linguistique, a le pouvoir d’imposer ses créations dites officialisées ou normalisées à beaucoup usagers, comme on peut voir dans l’article suivant de la Charte de la langue française:

« Dès la publication à la Gazette officielle du Québec des termes et expressions normalisés par l’Office, leur emploi devient obligatoire dans les textes, les documents et l’affichage émanant de l’Administration ainsi que dans les contrats auxquels elle est partie, dans les ouvrages d’enseignement, de formation ou de recherche publiés en français au Québec et approuvés par le ministre de l’Éducation » (art. 118)

La portée des cette disposition législative est énorme. Cela veut dire en pratique que les textes, documents, affiches, lettres, sites web, etc. produits par tous les différents paliers administratifs doivent utiliser la terminologie officialisée de l’OQLF. Idem pour les manuels scolaires approuvés par le Ministère de l’Éducation et publiés au Québec.

L’OQLF comme autorité du Bon Usage québécois

Évidemment, le poids de l’Office va bien au-delà de l’usage des instances administratives. Ses recommandations constituent, surtout du point du vue du vocabulaire, la référence du Bon Usage québécois du registre écrit formel pour tout le monde.

Par conséquent, toute personne qui utilise le français écrit et même parlé à des fins professionnelles peut se référer à l’usage recommandé par l’Office en cas de doute. Les traducteurs, rédacteurs, réviseurs, éditeurs, auteurs, journalistes, publicitaires, professeurs, bref, tous ceux qui écrivent en français doivent, à des degrés variables certes, tenir compte des avis de l’Office.

C’est ainsi que dans le cours de l’Université de Montréal a crée en 2023 sur les anglicismes indésirables, il est affiché au début de la section Répertoire la note suivante:

NOTE

Le contenu de ce répertoire est conforme aux orientations de l’Office québécois de la langue française.
Pour en savoir plus au sujet de chaque article, cliquer sur  … qui renvoie à la Vitrine linguistique.

La hantise des anglicismes et des fautes

Au Québec et au Canada, toutes les entreprises, institutions et organisations qui doivent communiquer avec le public possèdent ou utilisent un service linguistique qui se charge des besoins de traduction et de rédaction en français.

Dans ce registre, il faut souligner chez les usagers la hantise de l’anglicisme et la peur des fautes. Quelle honte que de présenter un document ou un texte «bourré» de fautes! Il faut dire que les logiciels de correction langagière, de traduction automatisée et l’intelligence artificielle générative facilitent beaucoup la production de documents sans fautes.

Conclusion: le succès lexical assuré mais…

Si les créations terminologiques de l’Office québécois de la langue française ont un important succès obligé au Québec, il reste trois questions que je vais traiter plus loin.

Premièrement, quel accueil réserve-t-on à nos «officialismes», «normalismes» et «recommandations» dans le reste de la francophonie. Est-ce que par exemple nos balado, infolettre et courriel, entre autres, sont adoptés en Europe ou en Afrique? Quel traitement reçoivent-ils dans les dictionnaires?

Ici on se demandera si la présence au Québec d’un nombre très important d’étudiants étrangers français dont la majorité vont rentrer chez eux ne vont pas emporter en même temps de nos créations lexicales.

Deuxièmement, qu’est-ce qui arrive aux termes déconseillés dans le processus d’officialisation, normalisation et recommandation de l’Office? Comme on ne s’en doutera guère, ces termes pointés du doigt ne disparaissent pas du tout et restent souvent bien présents dans certains contextes.

Troisièmement, quel est l’impact sur l’usage québécois de la prolifération des anglicismes dans le français européen. Évidemment ici je fais référence à cette longue tradition dans le purisme québécois d’exalter l’usage européen comme modèle à suivre, le célèbre français international.


Quand «trillion» change d’usage

18 janvier 2024

Avec un patrimoine d’au moins un million de dollars, vous êtes millionnaire. Bravo. L’étape suivante c’est milliardaire avec un patrimoine d’au moins un milliard ou mille millions de dollars.

Jusque là aucun problème de compréhension, encore faut-il les avoir, les dollars en question. Mais voilà ma surprise lorsque je tombe dans le site web de Radiofrance sur un article du 26 octobre 2021 intitulé:

Elon Musk en passe de devenir le premier trillionaire de l’histoire

Trillionaire? C’est certainement beaucoup d’argent mais c’est combien de milliards de dollars au juste? De toute évidence pour Radiofrance, il s’agit de mille milliards. Et Radiofrance n’est pas seule. De nombreux sites web utilisent le terme trillion et trillionaire ou trillionnaire dans le même sens.

Le trillion selon l’Office québécois de la langue française

Tous ces nombreux usages de trillion au sens de mille millards seraient fautifs selon l’Office québécois de la langue française qui dit sur son site web que le trillion désigne un:

Nombre qui équivaut à un milliard de milliards ou à 1018, soit le chiffre 1 suivi de 18 zéros.

Voici l’explication toujours selon l’Office: (la mise en gras est de moi)

Il existe deux systèmes de dénomination des grands nombres. Le premier, utilisé dans plusieurs pays d’Europe et traditionnellement en Grande-Bretagne, est basé sur les multiples du million. Les dénominations françaises des grands nombres y sont liées. Le second système utilise les mêmes dénominations, mais avec des valeurs différentes, puisqu’il est basé sur les multiples de mille. Ce système est utilisé en anglais, notamment aux États-Unis et au Canada anglais, et depuis plus récemment en Grande-Bretagne.

On voit bien à la dernière ligne que ce deuxième usage (mille milliards) venant des États-Unis se répand en Grande-Bretagne «plus récemment». Et voilà la puce à l’oreille. De toute évidence, pour beaucoup d’usagers le trillion en français a pris le sens du trillion américain, suivant en cela la tendance de la Grande-Bretagne.

Et le billion ?

Or il existe en français un terme précis pour désigner le nombre dont il est question ici: le billion et son dérivé billionnaire. Assez curieusement, il est rarement utilisé ; on voit toujours mille milliards ou bien sûr trillion.

Pourquoi trillion et non pas billion?

À première vue c’est un exemple, parmi tant d’autres «calques», de comment le contact avec l’usage anglo-américain est en train provoque ce transfert sémantique du trillion américain vers son homographe trillion en français. Mais si tel était le cas, pourquoi est-ce que billion en français n’a pas connu le même sort?

À mon avis, milliard et milliardaire étaient déjà tellement bien implantés qu’ils ne risquaient pas d’être déplacés par un phénomène semblable qui par ailleurs aurait provoqué inévitablement de la confusion avec billion et billionaire de anglais. Cela dit, ce n’est pas impossible qu’un tel changement ait lieu dans l’avenir.

Par contre trillion en français était rarement utilisé mais il restait disponible dans la nomenclature des grands nombres. Lorsque le trillion américain a commencé à prendre de l’importance ces dernières années dans le monde de la finance, les francophones en situation de contact ont tout simplement rattaché le nouveau sens au mot trillion existant mais presque jamais utilisé.

Ici il faut souligner l’importance de la facilité de création de la forme dérivée trillionnaire, ce qui est plutôt difficile à faire avec la formulation mille milliards.

Aujourd’hui les usagers qui cherchent à soigner leur langage – je pense en particulier à ceux qui veulent respecter les recommandations de l’Office québécois de la langue française – vont tout faire pour éviter trillion et trillionnaire. Jusqu’au jour où ils devront reconnaître que l’usage a changé.


Succès et insuccès lexicaux québécois : (1) État des lieux

23 octobre 2023

Parallèlement à cette longue tradition au Québec de chasse aux anglicismes et aux fautes de français, il y a eu, et il y a toujours, une importante activité de traduction et d’innovation néologique. Il me semble d’ailleurs que le Québec est un des rares endroits au monde où il existe le métier de terminologue et le titre professionnel de terminologue agréé.

Que deviennent les mots recommandés et les mots déconseillés?

Alors que l’Office québécois de la langue française, dans ses différentes incarnations, a toujours joué un rôle clé dans cette activité néologique, rien n’a empêché des traducteurs, terminologues et autres créateurs d’inventer des mots. Quant à savoir que deviennent les mots inventés ou recommandés, c’est la question que je voudrais aborder de manière schématique.

Dans un billet précédent, nous avons vu comment le terme millénial, anglicisme intégral pourtant déconseillé par l’Office québécois de la langue française, a relégué aux oubliettes millénarial, le terme préconisé par l’Office. Par ailleurs, nous avions vu que divulgâcher, autre terme proposé par l’OQLF, a connu un certain succès au Québec mais aucune diffusion dans le reste de la francophonie qui a préféré spoiler.

L’usage variable des termes recommandés

Mais tout n’est pas négatif. Tant s’en faut. Le travail terminologique de l’OQLF connaît quand même du succès, surtout au Québec il faut ajouter. C’est que l’Office jouit d’une grande autorité morale et même contraignante en matière de vocabulaire. Il existe des secteurs de la société et des institutions qui se sentent obligés d’en suivre les recommandations. Nous pensons en particuliers aux multiples services de la société d’État Radio-Canada qui s’est toujours doté non seulement d’une sorte de mission de défense d’une langue française de qualité mais aussi d’un véritable service de conseil linguistique.

Évidemment, les différentes administrations publiques, à commencer par le gouvernement du Québec, les universités et les grandes entreprises se font aussi un devoir de soigner leur langue écrite et de suivre les conseils de l’OQLF. Dans ces hautes sphères du pouvoir et du prestige, il y a des services linguistiques qui passent au peigne fin tous les textes destinés au public. C’est cet ensemble d’usages auto-surveillés et révisés que j’appelle le bon usage québécois.

Quant à la langue parlée spontanée ou la langue écrite dans des lieux dans des lieux moins surveillés et contrôlés – on peut penser aux courriels, aux sites webs individuels, aux réseaux sociaux et aux chaînes de radio et de télévision commerciales qui doivent vivre de la publicité – on trouve de tout, comme nous allons voir.

Quelques néologismes au Québec et dans la francophonie

Dans un premier temps, je vous propose un bref tour d’horizon de l’usage au Québec et dans la francophonie de quelques néologismes québécois récents. Il ne s’agit pas d’une études exhaustive comme on pourrait le faire dans le cadre d’une véritable recherche universitaire sérieuse.

Dans un autre billet, je voudrais aborder l’autre question importante: pourquoi si peu de succès à l’étranger alors que très souvent le Québec se trouve à l’avant-garde du contact entre le français et l’anglais des innovations anglo-américaines?

1. Courriel / e-mail

Le mot courriel est probablement le néologisme québécois qui ait connu le plus grand succès dans toute la francophonie. Avec la féminisation précoce des noms de métiers, courriel est un objet de fierté chez les langagiers québécois. Cependant, et contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, il n’a pas été inventé par les terminologues de l’OQLF. Selon cet article de la revue Actualité, deux professeurs d’université se disputent sa paternité quelque part vers 1985-1990. L’Office l’a approuvé en 1997.

Malgré son très grand succès, courriel n’a pas éliminé les concurrents e-mail et mail (mél) en Europe. Je me demande d’ailleurs si ce dernier terme n’est pas en train mener la vie dure à notre courriel.

2. Égoportrait / selfie

Quant à égoportrait pour le selfie anglo-saxon, l’auteur serait le journaliste québécois Fabien Deglise vers 2013. Alors que cet article parle de quelques apparitions de égoportrait en Europe, signalons que sa définition dans le Petit Larousse en ligne ce 22 octobre 2023 se lit comme suit:

Au Québec: selfie

3. Infolettre / newsletter

Le terme infolettre de l’OQLF vers 2014 a connu un succès énorme, pour ne pas dire total, au Québec et au Canada. Sa forme parfaitement conforme au système linguistique du français y est probablement pour quelque chose. Par contre, il est peu utilisé dans le reste de la francophonie où domine newsletter.

4. Baladodiffusion / podcast

Le terme baladodiffusion, avec sa forme abrégé balado, proposé par l’OQLF en 2004, est un autre grand succès au Québec. Je crois que ce succès vient en grande partie de son utilisation exclusive par Radio-Canada.

Il y a cependant de nombreux sites québécois qui utilisent podcast, comme dans cet exemple. Et rappelons que c’est le mot utilisé sur les menus de tous les téléphones intelligents.

L’usage de baladodiffusion en Europe semble rarissime.

5. Mot-clic / hashtag

Le terme mot-clic nous vient de l’OQLF depuis 2011. En France la Commission d’enrichissement de la langue française recommande mot-dièse depuis 2013. Ni l’un ni l’autre semble connaître du succès devant hashtag en Europe.

6. Témoin / cookie

Ici j’ai l’impression que le seul site web au Québec qui utilise témoin tout seul est celui de l’OQLF. Tous les autres, ou du moins la très grande majorité, utilisent une formulation comme celle-ci de Radio-Canada:

Nous utilisons les témoins de navigation (cookies) afin d’opérer et d’améliorer nos services ainsi qu’à des fins publicitaires. Le respect de votre vie privée est important pour nous. Si vous n’êtes pas à l’aise avec l’utilisation de ces informations, veuillez revoir vos paramètres avant de poursuivre votre visite.

En Europe, on ne voit que cookie.

7. Clavardage / chat / tchat

Le terme clavardage est une création relativement ancienne, 1997, de l’Office québécois de la langue française. Il est beaucoup utilisé dans le bon usage québécois.

Curieusement, on le voit assez souvent dans les écrits universitaires de la francophonie hors-Québec mais très peu dans les grands médias. Par exemple, le journal Le Monde utilise systématiquement tchat.

Conclusion : l’usage variable

À ces quelques exemples nous aurions pu ajouter chaîne des blocs / blockchain, diffusion en continu / streaming et rattrapage / replay parmi tant d’autres. Nous voyons donc se dessiner les trois grandes tendances déjà évoquées d’un usage variable.

En premier lieu, nous voyons que les néologismes recommandés ont un succès dans le bon usage québécois et canadien constitué d’un bassin d’usagers en quelque sorte captifs. Ces derniers se sentent obligés d’utiliser les termes proposés.

En deuxième lieu, chez les usagers moins captifs et ayant davantage de liberté dans leurs usages, on trouvera souvent les termes déconseillés.

Et enfin, en troisième lieu, l’usage dans le reste de la francophonie obéit à sa propre dynamique d’innovation et d’évolution lexicales dans lesquelles le Québec semble jouer un rôle bien mineur. Les contributions québécoises, sauf exception, sont désignées régionalismes ou québécismes dans les dictionnaires.

Il reste deux questions que nous aborderons plus tard. Pourquoi est-ce que les innovations québécoises, malgré leurs qualités formelles, ont si peu de succès à l’étranger? Et deuxième question, plutôt intrigante, pourquoi les usages déconseillés restent si vivants au Québec? À suivre.


Anglicismes non, l’anglais oui (1) Un congrès d’IA à Montréal, ALL IN 2023

1 octobre 2023

Dans un billet précédent, j’ai soulevé brièvement la question du rôle de l’anglais comme langue de communication scientifique et technique à l’Université de Montréal. J’ai mentionné le cas des congrès et colloques qui dans bon nombre de cas  exigent aujourd’hui le maniement de l’anglais.

Un congrès international d’intelligence artificielle à Montréal

Nul besoin d’aller très loin pour voir comment fonctionne la dynamique des langues dans un grand événement international. Du 26 au 28 septembre 2023 a eu lieu à Montréal le congrès ALL IN 2023, décrit comme «Le plus grand événement dédié à l’IA du Canada». Il s’agit bien sûr de l’intelligence artificielle, sujet très en vogue en ce moment.  On attendait mille personnes au Palais des congrès de Montréal et 10 000 en visioconférence.

Pour rappel Montréal est un des gros hubs – à une certaine époque on aurait dit une plaque tournante – de l’intelligence artificielle par le nombre de scientifiques, entreprises et institutions de recherche qui s’y trouvent. C’est le plus grand écosystème d’IA au Canada.

Le promoteur, Scale AI

Il ne s’agit pas d’un congrès scientifique proprement dit, à en juger par le prix de 1000 $ le billet d’entrée, mais une sorte de salon de l’industrie de l’IA au Canada. Il est organisé par Scale AI, un organisme basé à Montréal et financé par les gouvernements fédéral et québécois et le secteur privé. Il se décrit comme suit :

Consortium d’entités privées, de centres de recherche, d’universités et de startups ayant un potentiel élevé, Scale AI est le pilier central de l’écosystème d’IA du Canada.

À titre de supergrappe d’IA du Canada, nous identifions des projets de collaboration multisectoriels et fournissons financement et accompagnement pour faire en sorte que le Canada conserve son leadership dans le domaine de l’IA.

Le français est vraisemblablement la principale langue de travail de Scale AI mais je suis convaincu que l’anglais y joue un rôle important ne serait-ce par la vocation et la mission pancanadiennes qui animent l’organisme.

L’anglais, la langue de travail du congrès

Quant au congrès ALL IN 2023, remarquez d’abord l’heureux jeu de mots avec le sigle AI. Le site web du congrès est totalement bilingue. On y trouve, comme il se doit aujourd’hui, des vidéos promotionnelles mettant en vedette les personnalités dirigeantes du congrès. À cet égard on remarque que dans la version en anglais du site web, les vidéos présentent quatre personnalités importantes, toutes francophones, parlant un excellent anglais sans doute peaufiné et répété pour l’occasion.

Dans la version en français du site web, ce sont les mêmes vidéos, toujours en anglais, mais avec des sous-titres en français. Évidemment, il n’était pas question de refaire les vidéos en français avec ou sans sous-titres en anglais.

Cependant, le constat le plus important est dans la section intitulée Frequently Asked Questions en réponse à la question suivante: Dans quelle langue se déroulera l’événement ?

Les sessions de l’événement seront principalement en anglais, mais certaines interventions pourront se faire en français, à la convenance des conférenciers. Une traduction simultanée sera offerte via notre application officielle à tous les participants, de l’anglais au français et du français à l’anglais.

Je serais très curieux de savoir combien de sessions dérouleront en français. Et combien de francophones auront recours à la traduction simultanée qui, peut-être, sera assurée par un robot conversationnel à base de IA ? Rien n’est impossible.

La maîtrise de l’anglais professionnel, un atout incontournable

Ce vaste brassage d’idées et de réalisations dans le domaine de l’IA se fera donc essentiellement en anglais malgré une très importante présence de francophones parmi les conférenciers et panélistes. Rien de surprenant ici mais quel niveau d’anglais doit-on avoir pour participer à ce genre d’événement? Tout dépend bien entendu de la nature des interactions que les participants sont appelés à entretenir.

Revenons aux vidéos de promotion du site web de l’événement. Les quatre personnalités importantes sont les suivantes:

  1. Yoshua Bengio, Fondateur et directeur scientifique de MILA – Institut québécois d’intelligence artificielle. Également professeur titulaire à l’Université de Montréal et sommité mondiale dans le domaine de l’IA.
  2. Michel Leblanc Président et chef de la direction de la Chambre de commerce de Montréal métropolitain
  3. Hélène Desmarais, Fondatrice et présidente de Ivado Labs.
  4. Julien Billot, Directeur général de Scale AI, PDG.

À en juger par leurs prestations dans les vidéos, ces personnes dégagent une image de grand professionnalisme et d’aisance en anglais, comme il se doit, devant le monde entier. J’imagine qu’elles ont pu compter sur les services des meilleurs consultants et coachs dans le domaine de la prise de parole en public et devant les caméras. La barre est haute.

À ces hautes sphères de direction d’entreprise ou de grandes institutions la maîtrise de l’anglais parlé professionnel est une exigence absolument indispensable. Concrètement, cela veut dire, outre une connaissance du vocabulaire du domaine et une grammaire de préférence impeccable, une aisance générale dans la prise de parole en public et une facilité linguistique dans les interactions professionnelles.

Mais au Québec il n’y a pas que les hautes sphères du pouvoir économique, politique et scientifique qui exigent un anglais de qualité. Pour peu qu’ils aient quelque ambition, les sportifs, les chanteurs, les comédiens, les journalistes, les politiciens, les entrepreneurs, bref beaucoup de gens, pour ne pas dire tout le monde, ressentent un besoin de l’anglais. Comment acquérir et maintenir une maîtrise de l’anglais est un thème pour un autre billet.


«Appliquer» chez le Protecteur du citoyen

22 septembre 2023

Les lecteurs de longue date du blogue savent que je prends un malin plaisir à souligner comment au Québec des anglicismes stigmatisés depuis longtemps sont en voie d’être légitimés par leur usage chez des gens ou des institutions qui se font un devoir de s’exprimer de manière impeccable. C’est ce que j’ai démontré avec les verbes anticiper et booster à Radio-Canada. Voici un autre exemple avec le verbe appliquer.

Ce jeudi, 21 septembre 2023, on pouvait lire sur le site web d’Info Radio-Canada un article intitulé Le Protecteur du citoyen blâme sévèrement la SQ pour des pratiques de favoritisme. En voici un extrait : (j’ai ajouté le gras)

L’enquête du Protecteur faisait suite à des plaintes reçues concernant l’octroi de promotions qui remontent à 2015.

«De plus, nos enquêtes ont démontré que des personnes, à plusieurs reprises et dans différents concours, se faisaient approcher – même si elles avaient les qualifications pour le poste – pour ne pas appliquer ou retirer leur candidature parce que le poste ne leur était pas destiné», a affirmé Marc-André Dowd.

Quoiqu’il y ait une petite ambigüité, il me semble plutôt évident que le verbe appliquer est utilisé ici de manière intransitive dans le sens de postuler un emploi.

Je ne ferai pas une étude de toutes les condamnations chez nos grammairiens et puristes grincheux de ce prétendu anglicisme puisque j’en avais déjà parlé ici.

La légitimation de «appliquer»

Si j’évoque un petit fait lexicographique plutôt anodin, c’est qu’à mon avis il est révélateur de ce phénomène que j’ai moult fois commenté dans ce blogue : la chasse aux anglicismes ne donne rien si ce n’est de répandre les anglicismes.

En effet, malgré son long passé sulfureux, cet anglicisme tant décrié est sorti spontanément de la bouche d’un personnage aussi distingué que le Protecteur du citoyen du Québec, Me Marc-André Dowd, et s’est retrouvé tel quel dans un article de Radio-Canada.  Or ceci est exactement le processus de légitimation du mot appliquer c’est-à-dire son acceptation dans le bon usage québécois.

Dans un prochain billet, je ferai une étude plus approfondie de ce processus de légitimation normative.


«Mettre sur la mappe» un anglicisme québécois ou français ?

12 septembre 2023

Je ne croyais pas mes oreilles. Ce lundi 11 septembre 2023, j’écoutais l’émission BFM Crypto le Club, sur la chaîne télé française BFM Business. L’animateur Amaury De Tonguédec recevait Rogzy, créateur et PDG de DécouvreBitcoin. On parlait de l’adoption en septembre 2021 par le Salvador du bitcoin comme monnaie légale. L’invité, Rogzy, était allé au Salvador quatre mois après ce lancement et plusieurs fois par la suite pour des affaires. Il dit comme suit (3:55) (j’ai ajouté les gras) :

– Et donc il y a vraiment eu un engouement dans le pays. Il y a beaucoup d’internationaux qui sont venus. On a vraiment parlé du Salvador et ce qu’a réussi Bitcoin au lancement c’est mettre le Salvador sur la mappe mondiale, parce que Salvador c’est un petit pays, assez dangereux. 

Une vieille expression québécoise stigmatisée

Les lecteurs québécois de ce blogue savent que l’expression mettre sur la mappe est une vieille expression populaire venant de l’anglais. Elle doit remonter bien au-delà des années 60 et elle est souvent utilisée pour caricaturer la langue populaire. Voici ce qu’en dit l’Office québécois de la langue française:


L’expression mettre sur la carte, dans le sens défini ici, est absente des dictionnaires courants de langue française les plus récents. Sa variante mettre sur la map est consignée dans certains répertoires d’anglicismes qui en déconseillent l’emploi. La plupart des dictionnaires de traduction proposent comme équivalents de to put on the map des formulations qui rappellent l’idée de « faire connaître » ou l’idée de « mettre en vedette ». Il ne semble pas y avoir une expression consacrée, en français, pour rendre la locution anglaise, mais plutôt de multiples façons de le faire, selon le contexte (mettre en valeurfaire parler defaire de la publicité à, etc.).

On comprendra qu’au Québec un invité à la télévision ou un animateur de Radio-Canada tournerait sa langue plus que 7 fois dans sa bouche avant d’utiliser l’expression en question ou ajouterait quelque chose comme: «excusez l’anglicisme».

Expression acceptable en France

À moins qu’il existe une filière québécoise qui a exporté l’expression vers l’Europe francophone, il faut croire que cette occurrence française ici est une importation récente de l’anglo-américain. Elle n’est pas dans l’édition 2024 les dictionnaires Petit Robert et Petit Larousse.

Peu importe quand et comment l’expression est arrivée en Europe, ce qui m’intéresse ici c’est son utilisation sans la moindre gêne à la télévision française devant un auditoire de peut-être plusieurs dizaines de milliers de personnes. De toute évidence ni le locuteur ni les autres invités n’ont eu le moindre souci d’acceptabilité.

Ce n’est pas la première fois que j’évoque cette espèce de convergence d’anglicismes vilipendés au Québec mais devenus tout à fait acceptables en France. À suivre.


«Diversité», émergence d’un nouveau sens

8 septembre 2023

Le 5 septembre 2023 je rentrais chez moi par le métro de Montréal lorsque j’ai remarqué dans une publicité que le Service de police de Montréal (SPVM) recrutait de nouveaux policiers  et en particulier des « candidat(e)s diplôm(e)s issu(e)s de la diversité».

L’usage ici m’a rappelé deux titres que j’avais récemment vus dans le journal parisien Le monde.

Le 15 août 2023 : Olivier Saby, placeur de diversité dans le cinéma

Le 18 août 2023 : Frédéric Mermoud, réalisateur de « La Voie royale » : « Il y a trop peu de diversité dans les classes prépa et les grandes écoles »

Que veut dire ici diversité dans ces trois contextes?

«Diversité» dans les dictionnaires

Curieusement, le dictionnaire Petit Robert en ligne,  plutôt avant-gardiste,  ne souffle mot au sujet de ce nouveau sens. Ça ne tardera sans doute pas à changer.

Le dictionnaire québécois Usito ne dit rien à ce sujet.

Le grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française en parle très brièvement dans une note datant de 2019.

Par contre, le dictionnaire Petit Larousse en ligne, tout à son crédit, dit comme suit :

2. Ensemble des personnes qui diffèrent les unes des autres par leur origine géographique, socio-culturelle ou religieuse, leur âge, leur sexe, leur orientation sexuelle, etc., et qui constituent la communauté nationale à laquelle elles appartiennent : Faire entrer la diversité dans l’entreprise. (Cette notion, qui intègre des différences comme le handicap, est développée pour lutter contre la discrimination.)

Ajoutons en passant que le mot diversité est souvent associé au mot inclusion que je vais commenter dans un autre billet.

L’arrivée d’un nouveau sens et changement de discours

Sur le plan lexicologique, l’explication de l’arrivée de ce nouveau sens en français est très simple. Les grammairiens et puristes grincheux ne manqueront pas de souligner, avec raison, que ce sens vient tout droit de l’évolution récente du mot diversity chez nos voisins anglo-américains dans la lutte contre la discrimination dont souffrent certains groupes ou secteurs de la société.  

Puisque c’est presque le même mot en français et en anglais, lorsque le néologisme de sens émerge en anglais il est aussitôt traduit ou adopté en français devant le besoin de décrire la même réalité.  Les locuteurs ne voient pas d’anglicisme.

Mais tout ça c’est du déjà vu. Ce qui doit nous intéresser plutôt  c’est de voir comme l’émergence d’un nouveau sens  vient bousculer l’usage des mots existants ou les usages antérieurs qui touchaient de près ou de loin le même thème. Des mots comme communauté culturelle, groupe ethnique, minorité racisée,  minorité culturelle, orientation sexuelle, personnes handicapées, LGBTQ, etc.

Le maniement de tous ces mots sensibles est évidemment un défi majeur pour les personnes qui ne vivent pas l’actualité du changement des usages. J’avais déjà évoqué cette question dans un billet sur l’effacement presque du jour au lendemain des termes Indien et Amérindien devant Autochtone dans le bon usage oral au Québec.

Comme l’indique la définition du Larousse, le mot diversité ratisse très large. Il est donc fort utile parce qu’il nous permet de parler d’une question sensible tout en évitant des termes plutôt difficiles à manier correctement.


«Anticiper» et «booster» légitimés par Radio-Canada

7 septembre 2023

Je ne croyais pas mes yeux. Alors que je venais de faire presque coup sur coup des billets sur anticiper et booster, je viens de lire ce 6 septembre 2023 sur le site web de Info Radio-Canada un long article sur les coulisses de la naissance du train REM. Et voilà deux phrases qui m’ont sauté aux yeux (j’ai ajouté les gras) :


La foule, cordée sur des chaises de bois pliantes blanches, a poussé un wouah! qui a fait tressauter la maîtresse de cérémonie, Katerine-Lune Rollet, qui n’avait pas anticipé l’effet de surprise provoqué par le changement de décor derrière elle.

Au cœur de la stratégie libérale se trouvent les dépenses en infrastructure. Le Mouvement Desjardins estime à ce moment que l’économie québécoise est en panne depuis 2013. On allait booster l’économie en rénovant les écoles et les hôpitaux, en construisant des routes, des ponts et ainsi de suite… 

Je crois que tout a été dit. Nos anglicismes d’antan deviennent la norme d’aujourd’hui.