Diffusion et légitimation de « chiller » en français québécois

Je vous propose aujourd’hui un exemple particulièrement frappant d’un  phénomène que j’ai évoqué à maintes reprises ici, à savoir la diffusion des anglicismes par les campagnes de bien parler.

Sous la rubrique Milieu de l’éducation L’Office québécois de la langue française propose sur son site internet une série d’activités ayant pour but de « stimuler l’intérêt des jeunes du secondaire pour la langue française».

Ainsi l’Office propose-t-il une trousse pédagogique aux «enseignants et (les) enseignantes qui souhaitent faire découvrir à leurs élèves la richesse de la langue française. Les éléments qu’elle contient visent à les inciter à écrire en français dans les réseaux sociaux.»

Une activité pédagogique contre chiller

Dans la trousse, on trouve un atelier sur le système verbal du français et les anglicismes verbaux. Voici les consignes pour l’utilisation de la trousse :

  1. Avez-vous remarqué dans l’usage la tendance à utiliser des verbes anglais empruntés intégralement? La phrase « Viens-tu chill au parc demain? », qui présente un cas d’emprunt intégral du verbe anglais to chill, en est un exemple.
     

2. Auparavant, on remarquait plutôt l’ajout de terminaisons françaises (comme la finale en ‑er) aux verbes empruntés à l’anglais pour, en quelque sorte, les adapter au système de la langue française. Par exemple : « Viens-tu chiller au parc demain? » (to chill → chiller).

3. Observez les publications associées à cet atelier et repérez les formes verbales propres aux deux tendances (verbe anglais avec la marque de l’infinitif en français [chiller] et verbe anglais sans cette marque de l’infinitif [chill]).

4. Pour finir, remplacez complètement les verbes anglais par les verbes français appropriés au contexte. Par exemple, le verbe to chill peut notamment être remplacé par se détendre. Tentez de proposer diverses solutions. Vous constaterez que la langue française est riche et variée; plusieurs verbes français remplacent adéquatement un même verbe anglais, selon la nuance que l’on souhaite apporter au message.

Jusque là, je n’ai rien à redire. Les élèves sont ainsi initiés au système verbal de l’anglais et au verbe chill – s’ils ne le connaissaient pas déjà – et aux multiples façons de remplacer ce dernier.

Le balado Ainsi soit chill à Radio-Canada

Ces mêmes élèves du secondaire vont peut-être se poser des questions s’ils venaient à entendre une série intitulée Ainsi soit chill de balados de Radio-Canada.  Chaque balado est animé par Jérôme 50, jeune chanteur et étudiant de linguistique. Voici la description de l’émission –(j’ai ajouté le gras) :

Le chanteur et étudiant en linguistique Jérôme 50 part à la recherche des bijoux du nouveau français parlé par les jeunes chilleurs et chilleuses d’ici. Il célèbre l’ingéniosité de toute une génération qui se forge une identité linguistique, de la conjugaison au slang, des accents aux insultes.

Un des balados porte sur la conjugaison des verbes comme suit :

« On va chill? » « J’ai badtrip. » « J’ai vraiment struggle! » Certains jeunes omettent de conjuguer leurs verbes et d’utiliser la terminaison en -é du participe passé, en optant pour un mot emprunté à l’anglais, à l’arabe ou au créole haïtien.

Bon, je n’ose pas prétendre que l’atelier sur le système verbal de l’OQLF a abouti à la légitimation de chill sur les ondes de Radio-Canada. Mais avouons que c’est une coïncidence remarquable dans le temps.

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